01 - Sorcellerie dans le Sundgau
L'incarcération des sorcières
L'accusée, souvent dénoncée, était immédiatement jetée en prison dans une de ces sinistres "tours de sorcières", sombres bâtisses aux murs épais et cachots humides que l'on trouvait dans toutes les villes qui se respectent.
A Altkirch, cette tour faisait partie du complexe du château et était appelée "Schmittenturm". Elle disparut dans la seconde moitié du 19e siècle, lors de la construction de la nouvelle église.
Un tribunal spécial
A Altkirch, au 16e siècle par exemple, l'instruction du procès était de la compétence du bailli et du tribunal des "Sept", sorte de commission rogatoire composée de sept membres du "Malefizgericht" chargé de juger l'affaire et qui se composait lui-même de 24 membres.
Ces derniers, tous ressortissants de la seigneurie d'Altkirch, étaient issus comme suit : 6 Altkirchois, 6 de la vallée de Hundsbach, 3 de celle de la Largue, 2 d'Illfurth, 2 de Hirsingue, 2 d'Hirtzbach et autant de Hochstatt. Ils exerçaient leur fonction à titre honorifique.
L'instruction du procès
A l'occasion de ces procès au cours desquels étaient jugées celles que l'on persécutait comme sorcières, une série de questions obligées (malleus malificarum – Hexenhammer), adressée aux accusées, servaient il y a trois ou quatre siècles, de fil conducteur aux juges chargés de l'instruction de procès.
Ces questions étaient les suivantes :
1. Depuis combien de temps êtes-vous sorcière ?
2. Pourquoi l'êtes-vous devenue ?
3. Comment l'êtes-vous devenue et que s'est-il passé à cette occasion ?
4. Qu'est celui que vous avez choisi comme compagnon ? Comme se nomme-t-il ?
5. Comment se nomme votre supérieur parmi les esprits malins ?
6. Quel est le serment que vous avez été obligé de lui prêter ?
7. Comment et en quels termes l'avez-vous fait ?
8. Quel doigt avez-vous été obligé de lever ? Où avez-vous célébré vos noces ?
9. Quels démons et quelles autres personnes y ont assisté ?
10. Quels mets y avez-vous mangés ?
11. Comment la table était-elle mise ?
12. Vous êtes-vous assise à la table ?
13. Quelle musique y a-t-on jouée et quelle danse y a-t-on dansée ?
14. Que vous a donné pour vos noces votre compagnon ?
15. Quelle est la marque que votre compagnon vous a faite sur le corps ?
16. Quel mal avez-vous fait à telle ou telle personne et comment l'avez-vous fait ?
17. Pourquoi avoir causé ce mal ?
18. Comment pourriez-vous y remédier ?
19. Quelles herbes ou quels autres moyens peut-on employer pour guérir ces maléfices ?
20. Quels sont les enfants sur lesquels vous avez jeté un sort et pourquoi l'avoir fait ?
21. Quels animaux avez-vous frappé de maléfices ou tués et pourquoi avez-vous commis cette action ?
22. Quels sont vos associés pour le mal ?
23. Pourquoi le diable vous donne-t-il des coups la nuit ?
24. Comment composez-vous l'onguent dont vous frottez la fourche ?
25. D'où vient que vous pouvez traverser les airs ? Quelles paroles prononcez-vous alors ?
26. Quels temps avez-vous fait et qui vous a aidé à le faire ?
27. Quelle vermine et quelles chenilles avez-vous créées ?
28. De quoi créez-vous ces animaux pernicieux et comment procédez-vous ?
29. Le diable n'a-t-il pas assigné un terme à vos maléfices ?
Peut-on s'étonner que les douleurs de la torture aient arraché aux victimes, au fil de ce questionnaire, l'aveu de crimes qu'elles n'avaient point commis ?
Peut-on s'étonner que l'on ait brûlées vives, comme sorcières, de vieilles femmes qui avaient confessé leurs relations avec le diable, quand on sait que ces interrogatoires ne se faisaient que lorsque le "patient" était étendu sur le chevalet et livré au bourreau ? (Altkirch avait le sien).
La torture
Comment se convaincre qu'on avait affaire à une sorcière ? Les signes de reconnaissance étaient multiples :
- l'épreuve de l'eau (une sorcière surnageant est soutenue par le diable, donc coupable)
- l'épreuve du feu (la victime doit tenir en main un fer incandescent)
- l'épreuve des larmes (c'est le diable qui a rendu sensible sa proie) …
Encore fallait-il ensuite la faire avouer en employant l'incontournable torture !
En Alsace, on employait souvent comme instrument de torture, l'extension : les suppliciées étaient suspendues aux mains à une corde qui passait par une poulie fixée au plafond. On les montait et on les laissait retomber à plusieurs reprises. Ce traitement amenait à des déchirures musculaires douloureuses, quelques fois même à des fractures. Quand les aveux tardaient à arriver, on accrochait aux jambes des pierres.
Et pour donner le temps de réflexion à leurs victimes, juges et bourreaux allaient déjeuner. Il n'était pas rare qu'à leur retour, au bout de quelques heures, ils retrouvent un cadavre. Peu importe, le diable avait tué ses complices pour les réduire au plus total des silences.
C'est ce qui arriva par exemple à Thann en 1608 lors du procès de la femme de Benoît Schweitzer, qui fut retrouvée morte dans la salle des tortures. Le juge, moins endurci que bien d'autres, en devint fou de remords.